SOUS LES DEUX DRAPEAUX TRICOLORES

Nous sommes le 24 Août 1944; un des premiers chars de la Division Leclerc entre dans Paris libéré.
Sur la tourelle flottent deux drapeaux: le tricolore français, frappé de la Croix de Lorraine et le tricolore de la Seconde République Espagnole (proclamée le 14 avril 1931) et qui déjà n'existe plus. La «Cuarenta y tres» est le nom de la Division de l'Armée Populaire de la République Espagnole encerclée au printemps 1938 dans la Poche de Bielsa.
Puis ce fut l'exil vers la France des populations civiles et militaires par les cols pyrénéens.
Sur une photo de l'époque, une petite fille, donnant la main à sa maman et portant une poupée, passe devant deux gendarmes français qui détournent la tête… Refusaient-ils de voir, comme la France de l'époque, la menace de la peste fasciste qui planait sur le vieux continent? La suite nous la connaissons. Mais qui se souvient que des Républicains Espagnols ont participé à la libération de nombreuses villes françaises ?

La traduction en français de cette chanson leur est dédiée.

 

Ton nom, je ne le connais pas
et ne le connaîtrai jamais;
je n'ai pas parlé avec toi
et maintenant ne pourrai plus parler.
Je ne sais même pas
si ta maison est encore debout,
toi et les tiens étant partis,
elle est peut-être tombée.

Je sais seulement qu'en partant
on te vit sourire,
-«autre enfant soldat
qui va jouer à mourir…»-
Voyant la mère souffrir
tu étreignis le fusil;
le futur était noir,
le matin était gris.

-«Avec la Cuarenta y tres,
(mère, ne pleurez pas),
je lutterai avec foi
pour le monde auquel je crois!
Je ne veux pas vivre
ses hivers sans fin,
ni abaisser les drapeaux
tricolores d'avril!»

...D'Escalona à Parzàn
rien ne te fit céder,
«avançant» en reculant
de tranchée en tranchée.
-...Résister c'est gagner!
Il suffira d'un jour de plus…
…Et en juin, sur la frontière,
tu pleuras.

Non, non ce ne fut pas facile de vous dire adieu:
Pauvres rêves en ruines, adieu!
maisons bombardées, adieu!
jours de sang et de poudre, adieu!
cheminées en flammes, adieu!
camarades et amis, adieu!
pages sales déchirées, adieu!
Au grenier les souvenirs…et adieu!

Le jour se leva à nouveau,
qui allait le croire!
Toi, tu regardais le Sobrarbe
pour la dernière fois.
L'aube revint,
qui allait le penser!
Et la «Poche de Bielsa»
arriva à sa fin.

C'était à toi de jouer.
Sur quelle carte parier?
(l'exil devant,
la guerre derrière…)
Le Destin, féroce,
chanta son mauvais tour:
-Après la guerre, l'exil,
autre guerre encore pire!

...Et ce n'était pas un mensonge,
mais ça ne servit à rien!
Tu encontras une autre langue,
une autre patrie, l'amour.
Tu sus souffrir,
et enfin tu vainquis:
Sous les deux drapeaux tricolores
tu entras dans Paris! Combien de temps déjà!,
et de toi…plus rien.
Quel destin narquois
t'empêcha de revenir?
Tu découvris, peut-être,
qu'il ne suffit pas de retourner?
Les souvenirs et Bielsa
ne cessent pas de brûler!

Ton nom je ne le connais pas,
et ne veux pas le connaître;
en n'étant personne, tu es tous ceux
de la «Cuarenta y tres».
Sans visage ni voix;
ni Français, ni Espagnol,
seulement un homme coupé
en deux par la frontière.

Au lieu d'une fleur
-un œillet rouge en ton honneur-
je monterai au «Puerto Viejo»
pour y déposer ma chanson.

 

D'Escalona à Parzàn: là où passait la première ligne défensive de la «Cuarenta y tres» et où se déroulèrent les principaux combats de la Poche de Bielsa.

Avançant en reculant… Allusion au jeu d'un Comique de l'époque qui, lisant sur scène les bulletins des victoires de l'Armée Populaire, reculait jusqu'à sortir de la scène au milieu des rires du public qui connaissait bien la distance qui sépare la propagande de la vérité.

Résister c'est gagner! Le véritable slogan était: Résister c'est vaincre!

 

Paroles: Manuel Domínguez
Musique: Miguel Sorribes
Traduction: Jean-Claude Dutilh