DECLARATION AU PAYS QUI SE MEURT: MANIFESTE D'HIVER
Un fantôme traverse les Pyrénées,
un frisson l'accompagne d'une mer à l'autre
en pinçant le dos des montagnes,
caresses de glace avec des serres de cristal.

Le Défenseur du Peuple d'Aragon, supplicié,
est parfois un cavalier sans tête;
ou un serf qui se balance au gibet
portant sur ses épaules, le corbeau, son seigneur.

Un suaire de nuages déchiré
sème la peur en passant par les hauts cols.
Comme il court, comme il hurle dans la tempête de neige,
des paroles amères, amères à entendre!

-Montagnard, il est temps de savoir
à qui est la montagne!;
ta maison à qui est-elle?
ils te diront aujourd'hui la même chose qu'hier:
que ce qui t'appartient est à tous
… Et leur bien à qui est-il?

-Montagnard, debout une fois pour toutes!
Cloches et Ravins,
au son du tocsin, rassemblez la Milice!
… Peut-être alors arriveront-ils à comprendre
que lorsqu'un Peuple meurt,
le pays meurt avec lui.

Lorsqu'on la regarde, l'eau se fige dans les lacs de retenue,
-troubles créatures des profondeurs...-
Un éclair d'écailles traverse la vase
et nage dans les chambres de ce qui fut son foyer.

La nuit, sur les bancs autour du foyer submergé
des yeux sans regard pleurent sans pleurer:
«Patrie aimée, ma montagne abandonnée,
larme que tu verses, eau qui s'en ira!''»

«Sept clés au sépulcre de Costa!,
qu'ils cessent en vain d'invoquer son nom
ceux qui, pour apporter l'eau à leur moulin,
ne vont pas hésiter à noyer ta maison.»

-Montagnard, il est temps de savoir
à qui sont les lacs de montagne!;
la pluie à qui est-elle?
ils te diront aujourd'hui la même chose qu'hier:
-Les eaux appartiennent à tous…!
Et leurs fruits…? Maintenant tu le vois!

-Montagnard, debout, une fois pour toutes!
Sonnailles et Ravins,
au son du tocsin, rassemblez la Milice!
… et peut-être voudront-ils alors nous entendre:
Futur et maisons effondrés,
maintenant il y a peu à perdre!

A l'intérieur du bois, l'hiver est un dieu ancien,
un tronc couvert de neige et de solitude.
Etranger, ne t'assieds pas sur son dos,
ou le gardien abattu, plein de rage, se relèvera.

Triste dieu des foyers éteints,
maître des ruines, seigneur des terres incultes,
maître d'un ballet dansé par des ombres:
tourbillons de neige, tournant sans fin.

… Manifeste d'hiver, face à toi, devant ta fenêtre.
Lui fermer les yeux ne te sauvera pas.

Tu le verras si à toi aussi, ils te chassent de ta maison,
avec des lettres de givre écrites sur le carreau.

-Montagnard, je ne sais s'il y aura un après!
-comme l'eau entre les mains un monde nous a échappé…-
Se souvenir, n'est pas revivre;
il y a des fleurs qui,si elles gèlent,
ne refleurissent jamais.''

-Montagnard, debout, une fois pour toutes!
Affronte toi à l'hiver,
ou hiver tu deviendras.
Réfléchis bien! -c'est facile de répondre-:
Si les Pyrénées meurent,
qui mourra avec elles?...

 

Costa Joaquìn: 1846-1911. Homme politique, juriste, sociologue et scientifique Aragonais.

«Sept clés au sépulcre du Cid…» Phrase prononcée par Costa pour dissuader ceux qui voulaient utiliser la figure du «Cid Campeador» pour exalter l'image la plus réactionnaire de la Patrie.
L'auteur du texte reprend cette célèbre phrase de Costa, en la transformant, pour que son nom ne soit pas utilisé à des fins d'intérêts particuliers: «Sept clés au sépulcre de Costa…».

 

Paroles et musique: Manuel Domínguez
Traduction: Jean-Claude Dutilh